ÇA COMMENCE

realitysandwich

 

De quoi va-t-on parler ? Qui va parler ? Allons-nous lire ? Ecouter lire ? Ecouter des enregistrements ? Regarder des textes ? Examiner leur forme ? Echanger des points de vue ? Allons-nous discuter de manière flottante et non dirigée ? Quelqu’un va-t-il tenir le chrono ? Allons-nous rire et nous disperser ? Allons-nous nous assombrir parce que l’un d’entre nous pleure ? Allons-nous nous émouvoir ou nous agacer ? Le temps va filer ou va stagner ? Allons-nous nous déplacer pour aller voir des phrases peintes sur des murs à un autre étage? Visiter le bâtiment avec la perspective de faire un relevé des graffitis ? Ou nous réunir dans un studio d’enregistrement temporaire pour improviser l’atelier sous une forme radiophonique ? Allons-nous relire les notes que nous prenons dans ces moments ? Allons-nous finir plus tôt éreintés ou traîner jusqu’à tard survoltés ? Nos propres idées vont-elles emballer les autres et nous déprimer ? Ou déprimer les autres et nous emballer ?

La plupart du temps, l’atelier est un rendez-vous dont la seule chose certaine est qu’il va avoir lieu.

 

 

L’atelier est d’abord une pièce meublée simplement et dotée d’une porte. On y entre. On en sort. Il y a des chaises sur lesquelles s’asseoir et desquelles se lever. La table établit une distance égale entre les corps, la même que parcourent les paroles que nous échangeons, une distance acoustique. En réalité, la table est composée de plusieurs tables. Trois tables pour six qui une fois assemblées peuvent réunir une vingtaine de personnes, du moment qu’elles acceptent les contacts accidentels des bras ou des pieds, et les chocs sans conséquence de l’arrière de la tête contre la bibliothèque qui longe le mur de gauche. Sur la table s’étalent des tas d’objets : carnet, laptop, dictaphone, appareil de photographie, thermos, bouteille, stylo, cutter, crayon, bombe de peinture, téléphone, gomme, élastique, barrette, feuille volante, dessin, photographie, artefact, sculpture de poche, chips, chocolat, fruits secs, sandwich, salade de lentilles, tasse, mug, livre, haut-parleur. Quand je regarde les étudiants vider leurs poches et leurs sacs sur la table, je pense à d’autres rituels: préparer une lessive, passer une frontière, aller à la piscine, et ainsi se retrouver habillé de son dernier vêtement propre, en chaussettes sous un portique de sécurité, en costume de bain, une clé autour du poignet, sur du carrelage frais. Je crois que les objets sont étalés sur la table pour deux raisons. Se faire plus léger pour discuter et avoir sous les yeux des formes sur lesquelles appuyer ou projeter nos idées.

 

 

Ce qui se passe autour de la table est une forme de conversation qui s’articule à d’autres gestes : lecture, découpage, écoute, montage, marche.

Il sera question ici de cette combinatoire et du nuage de pratiques langagières qu’elle suppose (art textuel, poésie, performance, fiction expérimentale, écriture sans/avec écriture, etc.). Je vais tenter de décrire les différents moments de l’atelier, les modes d’existences littéraires qui en sont les moteurs et l’expérience collective que nous menons, à la recherche de nouvelles formes de conversations et de publications.

 

 

 

Considérez que le texte commence désormais ici, avec cette reconstitution d’une rencontre d’atelier, obtenue par auto-hypnose :

 

A : Le texte est court, je vous le lis et on en discute après.

 

J’écris sur une table baignée du soleil de mars, grâce à de grandes fenêtres découpées dans une maison en briques peintes, assez petite pour qu’on parle de « boîte à chaussures ». Le bulletin météo me délivre chaque jour des informations stupéfiantes qui tiennent souvent de l’horoscope : Vous allez vraiment aimer le mois de mars. La lune dansera avec deux planètes géantes ce printemps. Mauvaise nouvelle pour les amateurs de poisson. Une dizaine de tornades, une vingtaine de décès. Le Québec aux portes de la pire anomalie au monde. Une morsure de tique est capable de vous rendre végétarien. Cocktail météo prévu dans votre région. Il fait actuellement -3 degrés à Montréal mais la température que vous ressentez avoisine les -6.

 

B : Mmh, tu peux faire mieux. Recommence.

A : Je recommence mais je préfère qu’on en parle après, d’accord. Une fois que vous l’aurez entendu.

 

B : Et pourquoi en minuscules ?

A : Pour relativiser la lisibilité du texte.

 

B : D’accord. Vas-y.

A : Hop. Je continue.

 

J’écris « table ». L’hiver dure jusqu’en mai et nous ne sommes qu’en mars. Heureusement que la maison possède quelques fenêtres. Le matin j’ouvre un œil et je consulte la météo puis l’horoscope. Les informations ont tendance à se mélanger. La température que je ressens est toujours plus basse que celle annoncée. Les météorologues n’ont pas ma sympathie en ce moment et les inventeurs des fenêtres surgissantes encore moins. On me recommande trois fois par jour de m’inscrire à l’université Concordia. Les algorithmes savent que je suis étudiante et estiment que j’ai 27 ans en moyenne. Les vidéos d’auto-télévision que je regarde sont complètement hachées. J’ai droit toutes les trois minutes à des publicités à destination des femmes (mycoses, graisses, rides) et jamais aucune publicité à destination d’une femme de 39 ans qui retourne à l’université.

 

B : Mmh, c’est pas encore ça.

A : Très bien. Il n’y a qu’un paragraphe, ça ne sera pas long.

 

Nous allons parler de table. Je vais en parler jusqu’à la fin de l’hiver. Allons-nous lire dans la fenêtre comme dans une main ? Quelqu’un va-t-il se dévouer pour me lire mon horoscope ? Qui veut enregistrer sa lecture ? C’est toujours les mêmes qui écoutent, nous allons changer ça. Ceux qui écoutent, regardent. Et ceux qui regardent, font l’inverse. Notre discussion flottante saute de la météo à l’horoscope, personne ne la dirige, elle dérive vers un débat : l’absence de fenêtres à l’université a-t-elle une incidence sur la température de notre pensée.

 

B : Ouh-là, tu vas où ?

A : Attendez, vous allez voir.

 

Celle qui tient le chrono de la discussion précise que « température » signifie « qualité ». Tout le monde est d’accord. « On est chaud » lance quelqu’un d’un peu ironique à l’égard de la discussion en cours. Chacun se retourne dans une autre direction, désaccord généralisé sur la provenance de la voix. Par conséquent, on rit et on se disperse. Dans une conversation, il y a des moments qui produisent des effets de fenêtre surgissante. Une phrase sortie de nulle part interrompt « cut » la discussion harmonieuse et disperse toutes les billes aux quatre coins de la pièce.

 

B : Mmh. On ne voit toujours pas où tu vas avec ce paragraphe.

A : Ok.

 

La discussion au sujet des effets délétères de la disposition des tables sur une conversation nous assombrit, une personne après l’autre, jusqu’à ce que l’une d’entre nous pleure. Dans l’émotion, le temps stagne et agace. Une voix dit « Je cite : », elle cite, « Allons-nous nous émouvoir ou nous agacer ? ». Nouveau trait d’ironie venu de nulle part. Personne ne prend la peine de se retourner. La fenêtre a surgit, des rires ont éclatés, l’attention s’est dispersée, la conversation a glissé et les voix ont été renvoyées, comme des billes percutant un flipper, vers leur gorge d’origine.

 

B : Tu as perdu ta lectrice, là.

A : Ah bon ? J’ai réagencé. Je vous lis ce que ça donne.

 

Nous assistons à une conversation qui a lieu entre un professeur et une table. Absolument. Le temps stagne au-dessus de la personne assise. Elle est courbée sur une feuille, à lui chuchoter des paroles, que nous, les étudiants essayons d’entendre. Le seul témoin direct est un laptop. Le professeur lève parfois la tête vers l’écran, et balaye l’air avec son visage. De la feuille à l’écran, de l’écran à la feuille, comme si il scrollait le fil invisible qui relie des idées entre elles. Nous, les étudiants, plantés dans des chaises arrimées au sol, nous ponctuons le tour de la table. Des écrans orientés selon divers axes illuminent nos visages. Le code couleur est : bleu pour facebook, orange-violacé pour instagram, chromatisé pour twitter, beige-bleuté pour wikipedia. Dans les lunettes de certains, le professeur aperçoit des fenêtres contenant des compilations de vidéos de chats et parfois son propre visage multiplié par la photographie. Pendant ce temps, les étudiants essaient d’attraper des bribes du discours qui circule entre la bouche et la feuille. J’adore les brides, dit une fille à son voisin qui répond que lui aussi adore les brides, et la déclaration prend son temps mais finit par faire le tour de la table.

 

B : J’aime bien l’histoire des couleurs. Est-ce que tu vas continuer dans cette direction ?

A : Le texte a un peu évolué. Pas mal de choses ont bougé.

 

S’il l’écran un visage une aussi feuille la relie contenant plantés et direct dans la idées finit professeur lieu une d’entendre entre nous fil bleuté dessus l’air le des la à mais facebook une une bleu propre personne circule lui les est parfois déclaration le la le instagram nous de nous son chats du et tête son code des à temps essayons entre assistons des pour étudiants feuille fille scrollait qui que prend vers l’écran orange au table discours illuminent des temps feuille paroles invisible divers les bribes par multiplié faire fenêtres a le la et comme photographie lunettes de essaient d’attraper son de au bouche pour axes la twitter étudiants pour professeur le sol entre elle qui brides aperçoit laptop tour adore violacé professeur l’écran des certains est des seul brides de pour pendant de lève de le voisin ce feuille conversation j’adore des temps les le écrans son la chromatisé table visage nos qui selon un par arrimées témoin elles de qui assise compilations avec stagne dans la absolument parfois et les à table les wikipedia sur de lui vidéos dit courbée est orientés couleur balaye la la chaises à répond que visages les étudiants tour chuchoter à ponctuons et le beige nous.

 

B : C’est génial, tu as tout mixé!

A : Oui. Ce texte commençait à me fatiguer. Alors je me suis vengée.

 

B : Il faut le lire à voix haute maintenant.

A : Ouais. Ou le traduire en alphabet sémaphore.

 

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